La reconstruction du clitoris après mutilation sexuelle féminine

Professeur Hersant - Chirurgie Intime à Paris Est Créteil

La reconstruction du clitoris

L’excision est définie comme l’ablation rituelle d’une partie du clitoris. Elle est aujourd’hui classifiée par l’OMS parmi les mutilations sexuelles féminines (MSF). Ce terme regroupe l’ensemble des interventions incluant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre lésion des organes génitaux féminins qui sont pratiqués pour des raisons non médicales(1). Les mutilations sexuelles féminines sont internationalement considérées comme une violation des droits des femmes.

On considère aujourd’hui qu’il existe 200 millions de femmes excisées dans le monde(2). Ce type de mutilations est également retrouvé chez des femmes résidant en France à la suite des vagues successives d’immigrations venant d’Afrique subsaharienne. D’après le dernier recensement effectué par l’OMS, il existerait 90 000 femmes touchées en France métropolitaine.

Les mutilations sexuelles féminines se classent en 4 catégories selon l’OMS :
   • Type 1 : ablation partielle ou totale du gland clitoridien (petite partie externe et visible du clitoris et partie sensible des organes génitaux féminins) et/ou du prépuce/capuchon clitoridien (repli de peau qui entoure le clitoris).
   • Type 2 : ablation partielle ou totale du gland clitoridien et des petites lèvres (replis internes de la vulve), avec ou sans excision des grandes lèvres (replis cutanés externes de la vulve).
   • Type 3 : l’infibulation: rétrécissement de l’orifice vaginal par recouvrement, réalisé en sectionnant et en repositionnant les petites lèvres, ou les grandes lèvres, parfois par suture, avec ou sans ablation du prépuce/capuchon et gland clitoridiens (type 1).
   • Type 4 : toutes les autres interventions néfastes au niveau des organes génitaux féminins à des fins non médicales, par exemple, piquer, percer, inciser, racler et cautériser les organes génitaux.

La technique initiale de reconstruction du clitoris après excision a été initialement décrite en 2004 par Pierre Foldès(3). Elle a depuis connu quelques modifications et raffinements. Néanmoins, le traitement chirurgical ne peut être l’unique proposition thérapeutique à apporter aux patientes.

Ethnologie de l’excision

La prévalence des mutilations sexuelles féminines n’est connue que depuis le début du XXème siècle par l’intermédiaire des compte-rendus des missionnaires européens en Afrique. La première étude réalisée sur le sujet a été celle de la Faculté de Médecine de l’Université de Khartoum au Soudan en 1979. Le Soudan a donc été le premier pays africain à disposer de données statistiques complètes et fiables sur la fréquence de l’excision. Les estimations actuelles reposent sur le recensement des publications et rapports les plus récents réalisés par l’OMS et l’UNICEF.

A l’échelle internationale, les MSF touchent 200 millions de femmes en vie aujourd’hui. Elles concernent 30 pays répartis sur 3 continents (28 pays d’Afrique, quelques pays d’Asie, du Moyen Orient, ainsi que quelques groupes ethniques d’Amérique centrale et du Sud). La moitié des victimes de l’excision vivent en Egypte, Ethiopie et Indonésie (Figure 2). Dans le monde, six filles sont excisées chaque minute(4).

Suite aux récentes migrations, il est constaté un accroissement du nombre de femmes victimes de MSF vivant en dehors de leur pays d’origine. En France, on estime à 60 000 le nombre de femmes qui vivent excisées. Ces mutilations sexuelles féminines semblent principalement toucher les femmes originaires du Mali, Burkina Faso, Sénégal, Guinée et Côte d’Ivoire. D’après l’Institut national d’études démographiques, 45% des femmes nées dans un pays exposé seraient mutilées.

Anatomie et fonction du clitoris

Il est un organe essentiel pour le bon déroulement de trois des quatre phases du cycle sexuel féminin : l’excitation, l’orgasme et la résolution5. Du fait de sa position anatomique, le clitoris est en contact étroit avec la paroi vaginale antérieure. Ainsi, le mouvement des lèvres et la pression sur le vagin au cours des rapports sexuels entrainent une mobilisation ainsi que des vibrations du clitoris permettant une stimulation de ce dernier(6).

La description anatomique du clitoris n’a été complète que très récemment(7). Aujourd’hui, on parle de complexe clitoridien car il s’agit en réalité d’un organe multidimensionnel (Figure 3) qui peut être divisé en plusieurs segments : le prépuce, le gland, le corps, le genou, les racines, les piliers, les bulbes clitoridiens et le ligament suspenseur du clitoris.

Le gland et le prépuce constituent la portion visible du complexe clitoridien. Le gland est un organe érectile court situé à la partie supérieure du vestibule et recouvert totalement ou partiellement par le prépuce ou capuchon clitoridien. Le capuchon clitoridien est formé par la fusion des deux petites lèvres au niveau supérieur. Le frein est situé à la partie inférieure du clitoris.

La portion interne du clitoris est nettement plus importante que sa partie externe. Elle comprend la plus grande quantité de tissu érectile. Le corps du clitoris est constitué de deux corps caverneux érectiles. Il est relié à la symphyse pubienne par le ligament suspenseur du clitoris. Ce ligament est une structure tridimensionnelle dont la portion profonde est fibreuse et rigide alors que la partie superficielle est fibro-graisseuse et donc plus souple.

Le corps s’étend dans un premier temps en supérieur puis inverse sa direction pour former le genou du clitoris et se prolonger en inférieur. Il se sépare ensuite en deux racines chacune composée d’un corps caverneux qui se prolongent par les piliers du clitoris. Chaque racine est fixée au ramus ischio-pubien latéralement et sous la peau.

Les bulbes participent à la rigidité de la partie et externe et antérieure de la paroi vaginale. Ils se situent sous les grandes lèvres et contre la paroi vaginale antérieure. Ils correspondent aux corps spongieux et se gorgent de sang au moment de l’activité sexuelle.

La vascularisation du clitoris se fait via l’artère dorsale du clitoris ainsi que les artères périnéales superficielles et profondes qui sont toutes des branches de l’artère pudendale interne. En revanche, le capuchon du clitoris est vascularisé par des branches de l’artère pudendale externe. Le drainage veineux se fait via la veine dorsale du clitoris dans le plexus veineux vésical. La circulation veineuse des deux corps caverneux communique avec celle des deux bulbes via le plexus veineux de Kobelt.

L’innervation du complexe clitoridien se fait via le nerf dorsal du clitoris, branche du nerf pudendal. Ce nerf apporte une innervation purement somatique. Ce nerf est divisé en deux branches qui courent médialement au niveau du corps clitoridien sur à une position située entre 11 heures et 1 heure.

Les zones anatomiques dangereuses lors de la chirurgie du clitoris

Lors de la chirurgie clitoridienne, il existe un certain nombre de structures anatomiques et de zones dangereuses à bien connaitre afin de ne pas endommager la fonction de cet organe.

La première zone de danger se situe sur la face dorsale du corps du clitoris, entre 11 heures et 1 heure. C’est, en effet, à ce niveau que cheminent deux structures symétriques de haute importance : l’artère dorsale du clitoris et le nerf dorsal du clitoris(8). Il est donc important de réaliser les dissections, hémostases et section du ligament suspenseur à distance de cette zone (Figure 4).

La seconde zone de danger se trouve à la face antérieure de la zone de séparation du corps du clitoris en deux racines. Il s’agit ici du plexus veineux de Kobelt (Figure 5) qui est un élément crucial pour le drainage veineux des bulbes clitoridiens qui participent de manière très importante à la fonction clitoridienne.

Préparation pré-opératoire

Les motifs de consultation initiale dans le cadre de l’excision peuvent être variés et cette consultation ne se fait généralement pas directement chez le chirurgien plasticien. Les causes de consultations sont en général multiples et il faut savoir répondre à l’ensemble de ces plaintes, même lorsque la patiente consulte pour la première fois.

Là où notre expertise est importante c’est lorsque la demande porte sur l’apparence du sexe et que la patiente a honte de son corps qui est mutilé. Dans notre société occidentale où la chirurgie esthétique génitale est de plus en plus présente et où l’excision n’est pas une pratique culturelle, les femmes qui en sont victimes peuvent se sentir stigmatisé par le seul regard de leur(s) partenaire(s). La demande esthétique est donc cruciale à évaluer.

La plainte peut être également psychologique. Dans ce cas, notre expertise peut avoir ses limites. Les troubles psychologiques qui accompagnent l’excision sont le plus souvent liés à l’histoire des patientes qui ont subi ces mutilations, plus qu’à l’acte lui-même (bien que des états de stress post-traumatique peuvent résulter de l’acte). Le parcours de ces patientes issues de l’immigration a souvent été long et douloureux, entaché de viols, de guerres, de mariages forcés ou encore d’autres atrocités. Dans ce cas, il est important d’interroger les patients sur leur histoire et de ne pas hésiter à les adresser à un psychologue avant toute opération de reconstruction même si elles insistent pour une reconstruction rapide qui pourrait être, d’après elles, la solution « miracle ». Un suivi régulier avant et après l’intervention permettra à ses femmes de se reconstruire psychologiquement dans le même temps que leur reconstruction physique.

Aussi, la plainte peut être d’origine sexologique. En rapport avec un manque de plaisir, des douleurs au moment des rapports ou encore le besoin de ressentir du plaisir pour en donner à son/sa partenaire. La fonction sexuelle des patientes ayant subi des MSF est le plus souvent altérée et elles ont des difficultés d’excitation, de plaisir et d’orgasme diminuant leur satisfaction sexuelle. Cependant, il est important de les distinguer des problèmes sexologiques que peut présenter toute femme en dehors des MSF. La chirurgie de transposition du clitoris ne résoudra pas, par exemple, un problème de désir sexuel qui peut être lié à d’autres facteurs. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à adresser la patiente à un sexologue pour un bilan initial afin de déceler un risque d’insatisfaction malgré l’opération.

Enfin, parfois la femme victime d’excision peut revendiquer vouloir réaliser la chirurgie uniquement pour réparer le préjudice dont elle a été la victime malgré une fonction sexuelle satisfaisante. Dans ce cas il ne faut pas refuser l’opération, mais il est important qu’elle puisse également discuter de cette sensation de perte identitaire avec un psychologue.

De même, il peut être important de réaliser un bilan gynécologique avant l’opération lorsque ces femmes n’ont aucun suivi gynécologique préalable.

Technique chirurgicale de transposition du clitoris

Les premières techniques de transposition chirurgicale du clitoris ont été décrites par Thabet en Egypte(9) et par Foldès en France en 2004 puis des modifications de la technique ont été rapportées par des chirurgiens plasticiens comme O’Dey en Allemagne(10), Chang aux Etats-Unis(11) et Manero en Espagne(12). À l’heure actuelle, il existe donc 5 techniques effectuées par 3 types de spécialistes (urologues, gynécologues et chirurgiens plasticiens).

Installation et anesthésie

La patiente est installée en décubitus dorsal en position gynécologique. L’intervention peut être réalisée sous anesthésie générale ou sous rachianesthésie. Concernant l’antibioprophylaxie, la Céphazoline 2 grammes est utilisée. La chirurgie est réalisée en ambulatoire.

Incision de la zone cutanée cicatricielle

La zone à inciser est souvent porteuse d’une cicatrice irrégulière voir chéloïde. L’incision de la zone cutanée cicatricielle se fait au bistouri à lame froide en V inversé médian (Figure 6).

Dissection du corps et des piliers du clitoris

un fils de Vicryl rapide 4-0 est placé sur le nodule scléreux situé au niveau de la zone d’excision du clitoris et est mis sur pince afin de pouvoir tracter et mettre en tension le corps clitoridien afin de faciliter la dissection (Figure 7). La dissection initiale du corps est réalisée aux ciseaux de Metzenbaum en préservant la zone médiane de la face dorsale du clitoris où cheminent l’artère et le nerf dorsal du clitoris. La dissection au contact des faces latérales du clitoris est réalisée jusqu’au contact de la symphyse pubienne. Il est possible de réaliser des hémostases punctiformes à la pince bipolaire tout en préservant la zone dorsale médiane. Puis les sacs graisseux de Sappey sont refoulés de chaque côté par des écarteurs afin de dégager le genou clitoridien donnant naissance aux racines. Lors de cette libération, il est important de rester bien au contact de la face postérieure de la symphyse pubienne à distance du clitoris. Le ligament suspenseur est alors isolé.

Section du ligament suspenseur du clitoris

Cette étape est cruciale afin de libérer correctement le clitoris. Il est alors nécessaire de mettre en tension ce ligament par une traction sur le fils mis préalablement sur le nodule scléreux du clitoris. La zone de dissection au contact de la symphyse pubienne est alors une zone avasculaire et à distance du nerf dorsal. On sectionne alors le ligament suspenseur le plus proche possible de la symphyse pubienne. Ce geste permet alors de mobiliser au mieux le clitoris pour réaliser sa transposition (Figure 8).

Résection du tissu cicatriciel (nodule scléreux)

Il est nécessaire de réaliser l’exérèse du nodule scléreux cicatriciel situé au niveau distal du corps clitoridien afin de diminuer les douleurs et améliorer les sensations. La résection peut être réalisée à la lame froide ou aux ciseaux.

Transposition du clitoris

Le néo-gland clitoridien libéré de son nodule scléreux est alors tiré et transposé au niveau de l’incision cutanée. Il est nécessaire d’extérioriser ce nouveau gland clitoridien d’environ un demi centimètre du plan cutané afin de rétablir l’anatomie normale.

Suture du néo-clitoris

Les deux sacs de Sappey situés de part et d’autre du clitoris sont rapprochés par deux points de Vicryl 2-0 permettant d’éviter la réascension du clitoris. Le néo-clitoris est ensuite fixé à la peau par des points séparés cutanéo-muqueux de Vicryl rapide 4-0 situés sur le pourtour du clitoris en prenant garde de ne pas réaliser de points au niveau médian supérieur afin de ne pas léser le pédicule vasculo-nerveux (Figure 9). Il est important de laisser dépasser le néo-clitoris d’environ 5mm de la peau vulvaire afin de recréer l’anatomie initiale.

Soins post-opératoires

Une ordonnance de soins locaux et d’antalgiques de palier 1 et 2 est remise à la patiente. Ces soins sont composés d’un lavage quotidien délicat à l’eau et au savon sous la douche et l’application d’une compresse imbibée d’antiseptique (bétadine vaginale) deux fois par jour pendant 1 mois. Il peut être également utile de prescrire à la patiente de la xylocaïne en gel à appliquer plusieurs fois par jour sur la zone opérée afin de réduire les douleurs qui sont significatives la première semaine. Un arrêt de travail pour 1 semaine est fait.

Les patientes sont revues à 7 jours, 1 mois puis 6 mois et 1 an afin d’évaluer le résultat sur le plan cosmétique, sensoriel, sexuel et psychologique. Il est important d’expliquer aux patientes que le néo-clitoris va se kératiniser avec le temps et qu’il prendra sa couleur définitive au bout de 6 mois à 1 an (Figure 10).

Complications

La plupart des auteurs rapportent des complications mineures uniquement. La complication la plus rapportée reste la déhiscence de la cicatrice et la rétraction du néo-gland dans sa position initiale. Des douleurs liées aux cicatrices peuvent également survenir à distance. Le névrome post-opératoire a également été décrit par différents auteurs et peut être difficile à traiter. Enfin, des complications plus graves comme l’hémorragie post-opératoire, l’infection peuvent parfois survenir mais leur incidence reste à évaluer.

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